Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

1B 512/2022

Arrêt du 17 novembre 2022

Ire Cour de droit public

Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Jametti et Merz.
Greffière : Mme Arn.

Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Valerie Debernardi, avocate,
recourante,

contre

Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.

Objet
Procédure pénale; refus de qualité de partie plaignante et d'octroi de l'assistance judiciaire,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, du 29 août 2022
(ACPR/600/2022 - P/137152021).

Faits :

A.

A.a. Le 21 juin 2021, A.________ a déposé plainte contre B.________, en lui reprochant d'avoir abusé sexuellement de sa fille mineure, C.________, née en 2007. Elle a exposé que, dans le courant du mois de mai 2021, le prénommé et sa fille C.________ s'étaient donné rendez-vous en bas de son immeuble et s'étaient rendus dans les caves où ils s'étaient embrassés; B.________ avait alors touché le sexe de sa fille, puis avait voulu la pénétrer vaginalement, ce qu'elle avait refusé; il avait ensuite baissé son pantalon et avait contraint sa fille à lui prodiguer une fellation, jusqu'à éjaculation. A.________ a demandé à participer à la procédure pénale comme partie plaignante au pénal et au civil.

Entendue le même jour par la police, soit le 21 juin 2021, C.________ a confirmé les faits relatés par sa mère, ajoutant que le prénommé lui avait baissé son short, avait glissé son sexe entre ses cuisses, s'était frotté contre elle, sans la pénétrer, et lui avait également introduit les doigts dans son vagin, mais elle s'était dégagée.

A.b. En date du 23 août 2021, C.________ a, par l'intermédiaire de Me D.________, déposé plainte pénale contre B.________. Par ordonnance du 25 août 2021, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le ministère public) a accordé l'assistance judiciaire à C.________ et a désigné Me D.________ pour la défense de ses intérêts.

A.c. Par ordonnance du 1er juillet 2022, le ministère public a refusé la constitution de partie plaignante à A.________ dans cette procédure pénale. Il a le même jour refusé de lui accorder l'assistance judiciaire.

La Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours formé par A.________ contre cette ordonnance, par arrêt du 29 août 2022.

B.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt du 29 août 2022, de constater une violation des art. 3 , 8 et 6 par. 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH; RS 0.101), ainsi que de l'art. 5 par. 2 de la Convention d'Istanbul (RS 0.311.35), d'admettre sa qualité de partie plaignante, ainsi que de lui accorder le bénéfice de l'assistance judiciaire et de nommer Me Valerie Debernardi en qualité d'avocate d'office, avec effet au 10 mai 2022. La recourante requiert enfin l'assistance judiciaire pour la procédure devant le Tribunal fédéral.

La Cour de justice persiste dans sa décision et le ministère public conclut au rejet du recours.

Considérant en droit :

1.
L'arrêt attaqué est une décision finale rendue dans le cadre d'une procédure pénale par une juridiction cantonale statuant en dernière instance et peut donc faire l'objet d'un recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF. La recourante, qui s'est vue définitivement écartée de la procédure pénale ouverte contre B.________, a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de cet arrêt et à la confirmation de sa qualité de partie plaignante; elle a pris part à la procédure devant la Chambre pénale de recours, de sorte que sa qualité pour agir est donnée (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF; ATF 139 IV 310 consid. 1). Le recours a au surplus été formé en temps utile.

2.
Aux termes de l'art. 99 al. 1 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente. Dans son acte de recours au Tribunal fédéral, la recourante fait notamment référence, en note de bas de page, à un "certificat médical du 14 juillet 2022". Ce certificat - qu'elle ne produit pas - ne figure pas au dossier de la Cour de justice et ne résulte pas non plus de l'arrêt attaqué. Il n'en sera dès lors pas tenu compte.

3.
La recourante fait grief à la cour cantonale d'avoir violé les art. 117 al. 3 et 122 al. 2 CPP en confirmant l'ordonnance du ministère public lui déniant la qualité de partie plaignante. En substance, la recourante affirme entretenir un lien très fort avec sa fille, le père de cette dernière étant resté vivre au Salvador. Elle explique que face à la détérioration de la santé psychiatrique de sa fille (qui bénéficierait d'un suivi psychothérapeutique pour un syndrome anxieux post-traumatique), elle s'est sentie dépassée, impuissante et culpabilisait beaucoup de ne pas avoir pu prévenir l'infraction. Elle ajoute que les intervenants du centre LAVI lui ont octroyé une prise en charge financière pour un suivi thérapeutique lui permettant ainsi d'être traitée par un psychologue. Elle fait en particulier grief à la cour cantonale d'exiger la preuve par attestations médicales de la gravité de ses propres souffrances, alors que le suivi médical requiert du temps et du recul par rapport aux événements traumatiques. La recourante invoque également dans ce contexte une violation des art. 3 , 6 et 8 CEDH, et de l'art. 5 par. 2 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la
violence domestique (Convention d'Istanbul, RS 0.311.35).

3.1. Selon l'art. 116 al. 1 CPP, on entend par victime, le lésé qui, du fait d'une infraction, a subi une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle. Le proche de la victime est défini à l'art. 116 al. 2 CPP. Il s'agit notamment des parents de celle-ci.

Le droit d'un proche au sens de l'art. 116 al. 2 CPP de se constituer partie plaignante implique, ce que confirme la combinaison des art. 117 al. 3 et 122 al. 2 CPP, qu'il fasse valoir des prétentions civiles propres. Pour bénéficier des droits procéduraux conférés par le CPP, ces prétentions doivent paraître crédibles au vu des allégués. Sans qu'une preuve stricte ne soit exigée, il ne suffit cependant pas d'articuler des conclusions civiles sans aucun fondement, voire fantaisistes; il faut, avec une certaine vraisemblance, que les prétentions invoquées soient fondées (ATF 139 IV 89 consid. 2.2; arrêt 1B 62/2019 du 19 mars 2019 consid. 3).

Selon la jurisprudence, on ne peut exclure a priori le droit des parents de victimes d'abus sexuels à une indemnité pour tort moral, mais seules des atteintes d'une gravité exceptionnelle peuvent en justifier l'allocation (cf. arrêts 6B 44/2020 du 16 septembre 2020 consid. 10.1; 1B 62/2019 du 19 mars 2019 consid. 3; 6B 1063/2018 du 26 novembre 2018 consid. 2.2; 6B 962/2018 du 14 novembre 2018 consid. 1.2 et les arrêts cités). Le parent d'un enfant abusé sexuellement doit être touché avec la même intensité qu'en cas de décès de l'enfant (cf. ATF 139 IV 89 consid. 2.4.1; arrêts 6B 44/2020 du 16 septembre 2020 consid. 10.1; 6B 160/2014 du 26 août 2014 consid. 3.1; 6B 591/2012 du 21 décembre 2012 consid. 2.4.1).

3.2. En l'espèce, iI est reproché au prévenu d'avoir en mai 2021, dans les caves d'un immeuble, entraîné la fille de la recourante à lui prodiguer des fellations, dont l'une jusqu'à éjaculation, lui avoir descendu le short, avoir glissé son sexe entre les cuisses et s'être frotté à elle, nu, sans la pénétrer, et l'avoir encore pénétrée vaginalement avec ses doigts alors qu'elle ne le voulait pas.
La fille de la recourante est une victime au sens de l'art. 116 al. 1 CPP, de sorte que la recourante est une proche selon l'art. 116 al. 2 CPP. La recourante a déclaré vouloir participer à la procédure au plan pénal et civil, ce qu'a constaté la cour cantonale dans son arrêt du 29 août 2022. La recourante a notamment indiqué au ministère public qu'elle entendait faire valoir des conclusions civiles propres relatives au tort moral résultant des infractions commises à l'encontre de sa fille, indiquant se trouver dans une "détresse psychologique propre" qui venait s'ajouter à celle de sa fille (cf. courrier du 9 juin 2022 adressé au ministère public).

Dans son arrêt, la cour cantonale a retenu que s 'il était compréhensible que l'impact psychologique sur la recourante de tels actes incriminés pouvait subsister encore plus d'une année après les faits en question, la recourante n'avait toutefois ni allégué ni démontré que ledit impact revêtait un caractère exceptionnel, assimilable à la souffrance ressentie par un parent en cas de décès de son enfant. La recourante n'apporte en l'occurrence aucun élément susceptible de remettre en cause l'appréciation de la cour cantonale. L'attestation établie le 30 juin 2022 par le Centre LAVI, à la demande de l'avocate de la recourante, indique que cette dernière est touchée par la situation et stressée de l'état psychique de sa fille, qu'elle pleurait beaucoup durant les entretiens, qu'elle se sentait dépassée et impuissante face à la souffrance de sa fille et culpabilisait de ne pas avoir pu prévenir l'agression et enfin qu'elle était également preneuse d'un suivi; pour ces raisons, le Centre LAVI lui avait "fourni une prise en charge pour 5 séances pour le moment". La recourante reprend ces mêmes éléments dans son mémoire de recours. Avec l'instance précédente, force est d'admettre que les constatations précitées n'émanent ni d'un
thérapeute spécialisé ni n'atteignent le degré de gravité exigé par la jurisprudence pour permettre au proche d'une victime d'actes d'ordre sexuel de formuler des conclusions civiles propres à l'égard de l'auteur présumé. La recourante ne remet en particulier pas en cause que, entre le 7 juillet 2021 (date du bon LAVI d'aide immédiate en faveur de la recourante) et l'attestation précitée du 30 juin 2022, le Centre LAVI n'a pas augmenté le nombre de séances de psychothérapie prises en charge en faveur de la recourante. Cette dernière n'a en outre produit aucune attestation médicale susceptible d'apprécier le degré de gravité des conséquences sur sa santé psychique des actes dont aurait été victime sa fille une année auparavant. La recourante n'a en particulier pas transmis d'attestation d'un thérapeute spécialisé qui la suivrait. Dans ces conditions, l'instance précédente pouvait à bon droit considérer que les souffrances de la recourante ne sauraient être assimilées, sans autre pièce venant étayer leur intensité, à celles subies lors d'un décès d'un enfant. Le recours est mal fondé sur ce point.

3.3. Enfin, la recourante soutient qu'en la privant de la possibilité de participer à la procédure pénale, la décision attaquée la priverait de son droit d'accès au Tribunal, prévu par l'art. 6 par. 1 CEDH, et porterait atteinte à l'obligation de réparation découlant des art. 3 et 8 CEDH (interdiction de la torture, respectivement droit au respect de la vie privée et familiale) et 5 par. 2 de la Convention d'Istanbul. A cet égard, la recourante ne développe cependant aucune argumentation répondant aux exigences minimales de motivation (cf. art 106 al. 2 LTF; ATF 147 I 73 consid. 2.1; 146 III 303 consid. 2). Le recours est sur ce point irrecevable.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Les conclusions prises étant vouées à l'échec, la demande d'assistance judiciaire doit être écartée. Vu la nature de la contestation et la situation personnelle de la recourante, le présent arrêt sera toutefois rendu sans frais (art. 66 al. 1 , 2 ème phrase, LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 17 novembre 2022

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président : Kneubühler

La Greffière : Arn
Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 1B_512/2022
Datum : 17. November 2022
Publiziert : 06. Dezember 2022
Quelle : Bundesgericht
Status : Unpubliziert
Sachgebiet : Strafprozess
Gegenstand : Procédure pénale; refus de qualité de partie plaignante et d'octroi de l'assistance judiciaire


Gesetzesregister
BGG: 66  78  81  99  106
EMRK: 3  6  8
StPO: 116  117  122
BGE Register
139-IV-310 • 139-IV-89 • 146-III-303 • 147-I-73
Weitere Urteile ab 2000
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